Par Alternatives Economiques . Que faire face aux vagues de canicule en ville en été. Paradoxalement l’implantation de solaire et de renouvelables aux coeurs des vilels n’est aps nécessairement la meilleure solution. Depuis longtemps déjà, la végétation est présente en ville : pelouses, arbres, parcs et squares, jardinières aux fenêtres, sans oublier ces brins d’herbes sauvages qui s’obstinent à pousser dans les interstices du macadam, sur les trottoirs ou les parkings. Mais désormais on trouve aussi des toitures et des façades plantées et des plans locaux favorisent la végétalisation des villes. A Rennes, lauréate 2016 de l’opération « Capitale de la biodiversité », de nouveaux espaces verts ont été créés à la faveur des opérations de renouvellement urbain par la collectivité et des associations. A Paris, le plan « Végétalisons la ville » entend, d’ici à 2020, planter 30 000 nouveaux arbres (il y a aujourd’hui près de 100 000 arbres d’alignement), ajouter 30 hectares (ha) de jardins publics aux 500 existants1 et 100 hectares de murs et de toits végétalisés (sur 44 hectares à fin 2013).
Ces initiatives sont bienvenues dans des zones urbaines souvent moins marquées par un manque absolu de végétation que par sa très inégale distribution. Pour reprendre le cas de Paris, ses 3 327 ha d’espaces verts représentent le tiers de la superficie de la ville (10 500 ha), mais ce chiffre intègre les 1 800 ha des bois de Boulogne et de Vincennes ainsi que 600 ha de jardins privatifs, soit plus de 70 % de l’ensemble des espaces verts. Résultat : on observe de très fortes disparités entre le quart nord-est de la ville (moins de 1 m2d’espace vert par habitant) et les zones boisées (plus de 10 m2).
Des collectivités locales schizophrènes
Les politiques de végétalisation urbaine répondent à plusieurs objectifs : préserver et entretenir la biodiversité, réduire les « îlots de chaleur » et s’adapter aux accidents climatiques, améliorer la qualité de vie et la santé des habitants. Le sujet n’est pas mince : les villes françaises ont gagné 35 400 km2 en superficie (+ 42,5 %) de 1982 à 2011, selon l’Insee (soit près de trois fois l’Ile-de-France) et cet étalement urbain fragmente les milieux naturels, au détriment de la biodiversité. Comme le fait observer Gilles Lecuir, de Natureparif, organisme en charge de la biodiversité en Ile-de-France, « bien des collectivités très engagées dans la végétalisation continuent pourtant d’adopter des plans locaux d’urbanisme qui se traduisent par une poursuite de l’artificialisation2 des sols ». La végétalisation des villes est devenue un élément de la politique des « trames vertes », des corridors écologiques dont le déploiement est prévu par la loi Grenelle de 2009. Dans ce même esprit, la loi biodiversité adoptée à l’été 2016 a imposé en particulier le verdissement des toitures et des parkings de tous les nouveaux centres commerciaux.
Une augmentation de la surface de la végétation parisienne de 34 % permettrait de perdre jusqu’à 2 °C lors d’une canicule semblable à celle de 2003
La régulation du climat ambiant est un autre objectif de la végétalisation urbaine. L’idée n’est pas neuve : de la Méditerranée à la Mésopotamie, en passant par l’Egypte, toutes les cités antiques connaissent les vertus des jardins arrosés et des arbres d’ombrage. Mais avec le réchauffement climatique, le sujet tend à devenir pressant. L’ombre fournie par les arbres et le phénomène d’évapotranspiration (évaporation de l’eau du sol conjointement à la transpiration des plantes) sont bien connus pour rafraîchir l’air des îlots de chaleur urbains3. Ainsi, selon une étude de Météo France, une augmentation de la surface de la végétation parisienne (feuillages des arbres et pelouses) de 34 % permettrait de perdre jusqu’à 2 °C lors d’une canicule semblable à celle de 2003. Cet été-là, un écart de 8 °C avait été observé entre le centre de Paris et la grande couronne. Ce rafraîchissement relatif conduirait à moins utiliser la climatisation et à économiser ainsi jusqu’à 13 % d’énergie (pour une température intérieure de 26 °C). Ce calcul est toutefois assez théorique, puisqu’il faudrait pour cela que cette végétation additionnelle soit répartie dans toute la ville. Par ailleurs, pour que la végétation transpire suffisamment, il faudrait l’arroser chaque nuit… et donc consommer beaucoup d’eau en pleine canicule.
Les plantations sur toiture, sur des substrats peu épais, sont soumises parfois à des températures de canicule pouvant atteindre 50 °C.
Elles sont encore plus sensibles à cet écueil. « Tout comme pour l’agriculture, la végétation en ville n’est pas dissociable de la question de la gestion des ressources en eau », rappelle Valéry Masson, de Météo France. « Pour limiter l’irrigation, le mieux est donc de planter sur des sols profonds qui gardent l’eau, complète Marjorie Musy, chercheuse à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Nantes. Ce qui renvoie à la question de l’urbanisme et de l’artificialisation des sols. »
Contrôler les îlots de chaleur
Le développement de la végétation dans le but de contrôler les îlots de chaleur et la canicule ne peut donc être qu’un élément d’une politique globale. Sa clé reste l’isolation des bâtiments et la baisse des sources de chaleur, notamment les appareils de climatisation (qui rejettent de la chaleur à l’extérieur) qui tournent à plein en période de canicule et les véhicules à moteur thermique.
Il faudrait que la superficie des villes soit constituée à 80 % de parcs pour que celles-ci soient neutres en carbone !
En revanche, la végétation urbaine joue aussi un rôle important dans la régulation des eaux pluviales, rôle qui pourrait devenir capital à l’avenir avec les effets des changements climatiques sur les précipitations. Les toits végétalisés peuvent ainsi capter 40 % à 60 % de la pluie qui tombe sur leur surface, indique Bernard de Gouvello, ingénieur-chercheur au Centre scientifique et technique du bâtiment. Ce taux, précise-t-il, varie en fonction de la durée et de l’intensité de l’épisode pluvieux, comme de l’état initial de la toiture (sèche ou déjà gorgée d’eau). La végétation au sol capte également une part importante des eaux de pluie et représente une autre barrière contre les inondations. Elle a en outre des capacités de filtration, ce qui permet de décharger les eaux pluviales de certains polluants, comme certains métaux lourds, et de réduire les besoins de traitement.
Des bienfaits pour la santé
Les hygiénistes du XIXe siècle se préoccupaient déjà d’avoir des arbres et des jardins dans les quartiers déshérités. Les études menées depuis confirment que les habitants de quartiers bien pourvus en espaces verts déclarent moins de problèmes de santé que les autres. En France, où les trois quarts des habitants sont des urbains, une étude réalisée en 2016 par le cabinet Asterès, à la demande de l’Union nationale des entreprises du paysage, rappelle que « les espaces verts améliorent aussi bien l’état de santé autodéclaré des habitants que leur état diagnostiqué par un médecin ». En effet, ils encouragent l’activité physique (marche, sports en extérieur), améliorent la qualité de l’air et réduisent le stress ressenti par la population.
10 % d’espaces verts en plus ferait économiser à la Sécu 56 millions d’euros par an grâce à la réduction de la prévalence de l’asthme et 38 millions d’euros par an du fait de la réduction de l’hypertension
Cette étude estime qu’une hausse de 10 % de la densité d’espaces verts ferait ainsi économiser à la Sécu 56 millions d’euros par an du fait de la réduction de la prévalence de l’asthme et 38 millions d’euros par an du fait de la réduction de l’hypertension. La contribution de la végétalisation à la réduction des îlots de chaleur limite également la mortalité en période de canicule.
A ces bienfaits individuels s’ajoute un mieux-être collectif, surtout quand les citoyens participent aux opérations de revégétalisation, comme le souligne Catherine Muller, présidente de l’Union nationale des entreprises du paysage. Les jardins partagés d’aujourd’hui, un héritage des jardins ouvriers du XIXe siècle, favorisent le lien social, les solidarités de voisinage et les actions pédagogiques. C’est le cas également des mouvements de réappropriation de petits bouts de ville par les citoyens, de plus en plus souvent avec le soutien des collectivités. Par exemple les membres des Incroyables comestibles, nés au Royaume-Uni en 2008, cultivent un carré de jardin dont ils mettent la récolte à la disposition des passants. Cette initiative a essaimé en France en 2012, où elle compte plus de 220 groupes locaux. Des municipalités, comme Grenoble, proposent aussi aux habitants de les aider à créer leur « jardin de rue ».
Vers une agriculture urbaine ?
Qu’ils soient ou non le fruit d’une démarche militante, ces jardins participent d’une agriculture urbaine protéiforme. Elle compte aussi ses professionnels, qu’il s’agisse d’exploitations cultivant en classique ou en bio des terres situées sur des communes urbaines ou d’installations hors sol recourant à des techniques plus ou moins sophistiquées… et plus ou moins gourmandes en eau et en énergie. « L’agriculture urbaine ne bénéficie à ce jour d’aucun cadre juridique précis », indique Christine Aubry, chercheuse à AgroParisTech, qui a recensé à Paris près d’une centaine de « paysans urbains » porteurs de projet. Résultat : « Ils accèdent rarement au statut d’agriculteur et aux aides financières qui en découlent. » En effet, du fait de leur taille, ces activités ne satisfont généralement pas aux critères minimaux requis : surface exploitée, nombre d’heures de travail par an, revenu minimal tiré de l’agriculture…
D’autres activités (insertion, action éducative auprès des écoles…) peuvent néanmoins leur ouvrir l’accès à des subventions, par exemple dans le cadre de la politique de la ville. Ces agriculteurs urbains sont par ailleurs souvent installés sur des parcelles appartenant aux collectivités. La naissance fin 2016 d’une Association française de l’agriculture urbaine professionnelle traduit en tout cas l’émergence de ces nouvelles activités liées à la végétalisation de la ville.